Bail rural : quand le nu-propriétaire joue les troubles fêtes
Il est de plus en plus courant aujourd’hui que des propriétaires de biens immobiliers à usage agricole procèdent à des donations de ces biens à leurs enfants et que celle-ci s’effectue en démembrement de propriété.
Démembrement de propriété et bail rural
La solution est usuellement retenue par les donateurs pour alléger la facture fiscale.
Elle consiste pour les parents à faire donation de la nue-propriété des biens à leurs descendants, tout en s’en réservant l’usufruit.
L’assiette des droits de mutation est alors constituée de la seule valeur de la nue-propriété des biens transmis, laquelle est déterminée par application d’un barème fiscal fonction de l’âge des donateurs.
Au décès des donateurs, la pleine propriété est consolidée sur la tête des nus-propriétaires, sans droit de succession à acquitter.
Si intéressant soit-il pour les propriétaires et leurs enfants, le démembrement de propriété peut cependant être source de difficultés, si l’on oublie de faire intervenir le nu-propriétaire à un acte de bail rural.
Selon l’article 595-4 du Code civil, l’usufruitier ne peut, sans le concours du nu-propriétaire, donner à bail un fonds rural.
Dans ce cas, l’usufruitier, qui dispose en principe de la jouissance des biens démembrés, doit obtenir l’accord du nu-propriétaire pour conclure ledit bail à ferme.
Le texte est inspiré par la volonté du législateur d’accorder au nu-propriétaire une forme de droit de contrôle sur les biens à louer.
Le rôle clé du nu-propriétaire dans le bail rural
L’accord du nu-propriétaire se matérialisera par sa signature sur l’acte de bail. Ce contreseing ne privera pas l’usufruitier de son droit de percevoir les fermages.
Si le Code civil demeure silencieux sur les conséquences du défaut de contreseing, la Cour de cassation a eu l’occasion, dans de nombreux arrêts, de rappeler que le bail rural conclu sans l’accord du nu-propriétaire est entaché de nullité.
Cette nullité est cependant relative et ne pourra être invoquée que par le donataire, le plus souvent à l’occasion d’un contentieux survenant au décès de l’usufruitier.
L’annulation du bail engendre son anéantissement rétroactif avec son cortège de désagréments pour le fermier en place.
Dans une décision récente du 11Juillet 2024, la Haute Cour a eu l’occasion de rappeler qu’un fermier dont le bail a ainsi été annulé, ne peut prétendre aux indemnités pour amélioration du fonds prévues par les dispositions de l’article 411-69 du Code rural, dès lors qu’elles sont revendiquées en application des dispositions légales régissant un contrat réputé comme n’ayant jamais existé juridiquement.
La prudence commande donc de s’assurer que la propriété du bien loué n’est pas démembrée au jour de la signature de l’acte de bail. L’appréciation d’un Juriste est toujours bienvenue.